Un chef dans le jardin

Cet été, j’ai voulu m’initier au métier de cultivateur. J’avais envie de produire quelque chose, de commencer à la base, de mieux comprendre tout le chemin qu’un aliment fait jusqu’à ma cuisine. Depuis plusieurs années, quand c’est possible, j’achète directement aux producteurs. Personnellement, je trouve qu’au-delà de l’importance de la consommation locale d’un point de vue écologique, il en va aussi de la prospérité économique d’une région.

Manu, copropriétaire de chez Rose Drummond

Après une longue discussion sur le pastis avec Emmanuel Bertrand, copropriétaire du Rose Drummond, il m’a offert l’opportunité d’emprunter une planche de culture dans son immense jardin derrière les serres. Une planche de culture, c’est une zone de terre rectangulaire surélevée ayant plus ou moins trente-deux pouces de largeur et au moins vingt-cinq pieds de longueur. Son format permet de travailler plus efficacement autour d’elle et de mieux délimiter les différentes cultures. Pour une première expérience, je me suis dit que de m’occuper d’une seule culture serait suffisant. J’ai alors décidé de faire pousser des cantaloups.

Pourquoi?

Simplement parce que c’est bon! C’est délicieux autant avec du jambon qu’en dessert. Un sachet de graines de cantaloups donne environ trente semis. Le calcul était assez simple dans ma tête: trente plans de cantaloups qui donneraient environ trois fruits chacun, quatre-vingt-dix melons que je pensais aller récolter un beau dimanche de septembre en prenant mon café du Rose Café (le meilleur en ville).

Naturellement, rien ne s’est passé comme prévu. Ma première surprise a été de constater qu’il fallait que je passe régulièrement au jardin pour tourner les cantaloups afin d’éviter qu’ils moisissent. C’est Gabrielle Laroche, la chef de culture chez Rose Drummond, qui m’a expliqué comment prendre soin de ce type de fruit. Comme c’est un fruit vraiment sucré, si on ne le retourne pas à toutes les semaines, les insectes se feront un réel plaisir d’y entrer pour y pondre leurs œufs qui le dévoreront de l’intérieur. J’ai perdu soixante pourcent de ma récolte à cause de ce manque d’expérience. J’ai également appris que la pollinisation des melons se fait entre leurs fleurs mâles et leurs fleurs femelles. Pour faciliter le travail des abeilles, il aurait fallu que je les aide manuellement. Un peu comme dans Avatar, quand Jake Sully devient intime avec Neytiri en connectant leurs couettes de cheveux.

Dans le but de m’aider dans mon projet, Gabrielle a recouvert la planche d’une longue feuille noire qui ressemble à un plastique de sac poubelle. C’est en fait une membrane végétale composée de maïs, donc compostable. Cette membrane a pour buts d’emmagasiner la chaleur, de garder l’humidité de la terre et d’empêcher les mauvaises herbes de pousser. Malgré ça, j’ai compris assez vite à quel point la nature est puissante. Trois semaines après avoir planté mes semis en terre, le chou gras avait transpercé la membrane. Le chou gras est une mauvaise herbe qui est comestible et franchement excellente quand il est récolté au bon moment (lorsqu’il est encore petit). Il a un goût d’épinard légèrement relevé avec un certain piquant s’apparentant à la sensation du gingembre mais sans son parfum. Même si je découvrais un certain plaisir à cette herbe, mes plans de cantaloups se faisaient voler une partie des nutriments par ces envahisseurs. J’ai donc dû passer aux trois semaines pour désherber. 

La première semaine de septembre, nous avons fermé le resto pour donner congé à toute l’équipe. Nous travaillons tous sans compter nos heures depuis l’ouverture et c’était naturel pour nous que tout le monde se repose en même temps. J’ai tout de même dû aller chercher ma dernière récolte durant ce congé. Les cantaloups, quand ils sont mûres, ont la particularité de se détacher de leur tige pratiquement par eux-même. Pour éviter la pluie, je suis allé les ramasser juste avant de me rendre à Dunham pour manger à la Table Fermière avec mon chum.

Ce projet fût une expérience vraiment enrichissante. J’avais déjà beaucoup de respect pour les maraîchers et ça n’a fait qu’augmenter l’admiration que j’ai pour ces gens. Je répèterai probablement l’expérience l’été prochain avec d’autres sortes de cultures en me rappelant la douce odeur sucrée des dizaines de cantaloups dans la voiture de mon chum sur la route de Dunham.

 

écrit par Mathieu Gauthier